FRANK REICHERT: Une grande plume s’envole…

par Eric Boldron

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Paru dans Paris-Montmartre, 2ème trimestre 2019

« Ballades pour un voyou », « Same Player Shoots Again », ça vous dit quelque chose? Nous sommes quelques inconditionnels des « années Futuropolis » à avoir conservé ces albums dans nos bédéthèques. Frank – un nom qui fut longtemps son unique signature – en était le scénariste. Et lorsque nous lisions (et nous les avons tous lu) les aventures de Snoopy et de Charlie Brown – le fameux « Peanuts » de Schulz – c’était la traduction française de Frank que nous lisions. Frank traduisait également « Krazy Cat » de Herriman, la famille Illico de Mac Manus, Dick Tracy de Chester Gould, Franka de Kuijpers, Calvin et Hobbes de Watterson et j’en passe. Sa connaissance de l’USA slang (argot américain) lui donnait une aisance particulière pour ses adaptations qu’il savait rendre savoureuses, hilarantes, sensibles. Il aura ainsi adapté indifféremment romans, polars, ouvrages de science-fiction, livres pour la jeunesse mais aussi la plupart des grands classiques, réécrivant pour l’illustration ou la BD des auteurs comme les frères Grimm, Perrault, Jules Verne, Prokofiev, traduisant au passage Jodorowski ou Crepax, traitant des oeuvres telles que « La Belle et le Bête », « Le Chat Botté », « Peter Pan », « Le livre de la jungle », « Le petit Chaperon Rouge » et – après tout, pourquoi pas – « Boucle d’or » ou « Mickey ». Travailleur forcené, Frank a produit une oeuvre si considérable qu’on ne peut tout énumérer ici.
Car au dessus du « gentleman traducteur », comme on l’appelait parfois, il faut considérer l’auteur, l’écrivain, le scénariste, le poète…
Au départ, il était promis à une toute autre carrière. À 20 ans, résidant avenue Junot, ce fils d’assureurs ne se sent guère enclin à reprendre la relève de l’affaire familiale, passionné qu’il est des grands mouvements littéraires, particulièrement ceux qui traitent des grandes révolutions ou des courants anarchistes. On le voit régulièrement fréquenter l’épicerie-buvette de la mère Venet, rue Lepic où il cotoie les peintres du coin, des comédiens comme Luchini, des chanteurs comme Polnareff, tous inconnus à l’époque. Frank va même jouer – en compagnie de quelques habitués de « l’épicerie » – dans « la Bande à Bonnot » de Philippe Fourastié, film tourné en 1967 où jouèrent entre autre Bruno Cremer,  Jacques Brel, Annie Girardot…
Place du Tertre, à la Crémaillère d’Antoine Marino, on voit Frank disputer des parties d’échecs et c’est peut-être là que va commencer à se former autour de lui, un de ces groupes de discussions où l’on débat, non sans dérision, sur tout et sur rien: actualité, littérature, Histoire, poésie, vie quotidienne… Une habitude – ce qui révèle bien son sens sacré de la camaraderie – qu’il aura gardé jusqu’au bout. Avec eux, Frank aura eu l’occasion de partager son fameux rhum, le bien connu rhum Neisson, production de sa chère cousine Claudine.
« Ne vous asseyez pas là, disait Elyette, aux clients impromptus qui entraient dans son bar, j’attend « l’équipe du jeudi »!.. »
Elyette, du Rêve, avait baptisé ainsi Frank et son groupe de penseurs décalés qu’elle était habituée à voir débarquer chez elle en milieu de semaine et auxquels elle n’oubliait jamais de réserver une place.
Frank Reichert a donc fait beaucoup de traductions de polars, écrit également des romans de gare sous plusieurs pseudonymes, mais son oeuvre se révèle surtout en 1979 lorsqu’il crée avec le dessinateur Golo (Guy Nadaud), « Ballade pour un voyou », pour Charlie mensuel. Frank et Golo créeront encore ensemble des oeuvres mémorables comme « Same player shoots again », « Le bonheur dans le crime », « Rampeau ». Inspirés à la fois par les grands maîtres du roman noir américains et les écrivains français comme Mac Orlan, Dabit ou Carco, les scénarios de Frank décrivent, sur fond de trame policière, un climat urbain, bercé de chansons et d’expressions populaires. Frank et Golo feront aussi un album-hommage à Hergé.
En 1981 Frank travaille avec le dessinateur Edmond Baudoin. Ils créeront ensemble des oeuvres marquantes comme « Théâtre d’ombres », « Avis de recherche », « La danse devant le buffet », « La croisée ». Parmi ses complices de création, on peut encore citer les dessinateurs Nicolas Wintz, Jeanne Puchol et Daniel Goosens. Frank aura travaillé avec des maisons comme Fleuve noir, Le Masque, Rivages, Le Square (Hara-Kiri, Charlie Mensuel), Futuropolis, Dargaud, les Humanoïdes associés, Casterman, L’Echo des Savanes…
À Montmartre, ses « terrains d’expressions » étaient le Rêve, et plus récemment le Grand Huit, le Soleil de la Butte, le Nansouty…
Il n’était pas rare de croiser Frank Reichert accompagné de Golo, Edmond Baudoin, Charlie Schlingo, Margerin, Claire Brétécher, qui fréquentèrent, comme lui, le Festival d’Angoulême – là encore on ne peut tous les citer – il avait tellement d’amis…
Frank nous a quitté le 23 novembre 2018, à l’aube de ses 76 ans. Il repose près des siens au cimetière de Montmartre.

Merci à Elyette Segard-Planchon

Publié dans : Non classé | le 3 mai, 2020 |Pas de Commentaires »

C.B.: Un décor de « Rêve »

par Eric Boldron

(paru dans Paris-Montmartre n° 13.86  -  juin 2012)

CB,E-BoldronChristophe Billon dit « CB » 

« CB  »   expose au « Rêve», devenu « bar de légende » sous la houlette magique de la fée Élyette.

« CB  » (Christophe Billon), est un peintre bien d’aujourd’hui, un «enfant du rock». Ancien des Beaux-Arts d’Angoulême, s’il ne fait pas dans la BD classique, on se dit, en regardant la particularité de son trait, que tout de même, il a dû un peu «tomber dedans étant petit». Familier des squats et autres ateliers éphémères, il y expose ses toiles les plus démesurées, multipliant «performances et happening», depuis plus de vingt ans.

Il a créé la «Malle Bleue» (  www.mallebleue.com ) en 1998 à Paris, face au musée Picasso, dans l’un de ces espaces dits «alternatifs». Une grosse cantine en fer, des coussins, il y assoie ses modèles, et il les peint! Simple et efficace, même Publicis et les Galeries Lafayette l’ont suivi dans l‘aventure.

  L’autre moment fort de son parcours aura été son voyage dans le Pacifique et son séjour à Fidji, d’où il ramènera, outre ses carnets de voyages, la plus surdimensionnée de ses oeuvres: une fresque dessinée sur rouleau d’une longueur totale de 18 mètres!

On est vite intrigué par la vie fourmillante qui caractérise cette nouvelle exposition, œuvre vaste, composée de  tableaux savamment alignés, derniers nés de l’esprit imaginatif – voire «illuminé» – de «CB». Un univers «hérissé» comme ses cheveux, d’où sort une multitude de pattes, d’yeux, d’oreilles… Des animaux, déferlant de partout, dans des couleurs qui semblent avoir été piquées à la famille «Simpson»…

 Pourquoi les animaux dans son oeuvre? Ceux qui ont suivi cette année le festival 2012 d’Angoulême, ont redécouvert l’œuvre de Art Spiegelman et son monde de souris se débattant dans la tragédie de la seconde guerre mondiale. CB était au festival, évidemment! «Cet auteur m’en a mis plein la gueule, avoue-t-il , admiratif! Mais il y a eu aussi Robert Crumb. De Daumier à Disney, toute l’illustration, la BD, le dessin animé fourmillent d’ animaux. L’animal est pratique pour exprimer les « travers » humains. À ce monde contemporain, je ne fais qu’ajouter mon «pays des merveilles». Si je fais un chat à cinq pattes, je crée un animal «fantastique». Je crée le miracle de le faire exister, parce que le dessin l’a rendu «virtuellement» existant. Après, si je fais un chat à trois pattes, n’y voyez pas forcément un animal «fantastique»: ce n’est peut-être qu’un chat normal à qui il est arrivé un «accident»!

Ce genre de «décrochage», fréquent chez CB, a le pouvoir de mettre à mal la fragile frontière entre réalité et absurde. Mais CB a les preuves que la réalité est absurde! Lors de son séjour à Fidji, une anecdote l’aura ,en tout cas, éclairé sur ce fait. Et comme par hasard, c’est un animal qui le lui a révélé!

«Un soir, sur la plage, je suis surpris en voyant un objet en plastique se déplacer devant moi, avec une certaine détermination! Je découvre que l’objet est habité! C’est un bernard-l‘ermite qui se trimballe avec sur le dos une coquille en plastique! »

Ainsi naissent les grandes révélations! C’est « L’âge de plastique »! La nature et ses valeurs éternelles, tout çà est à revoir! Et c’est ce que fait CB! Il refait le monde! Ça peut paraître mégalo, mais il le fait avec les moyens qu’il a: en l’occurence son art « plastique ».

De toute façon, CB est mégalo, et çà l’amuse de le revendiquer! Sa dernière «folie» en témoigne! Il expose ce mois-ci sur deux endroits en même temps à Montmartre (trois puisqu’il participe aussi à la Biennale de la République de Montmartre).

«Ceux qui tirent les ficelles du marché de la peinture contemporaine sont trop sélectifs, pas assez vers une « peinture du peuple », lance-il. Regardez avec qui je travaille! Valérie et Axel, qui dirigent le «Rêve»: des artisans, qui acceptent généreusement de partager avec moi un espace, le temps de cette expo, de même que Marjorie et Jean-Pierre, de la tapisserie Kerlan, quelques mètres plus loin. Ils amènent leur savoir-faire, moi le mien.  Comme eux, je rends service! Comme on aime le bon pain du boulanger du coin, on aime mon univers, parce qu’on en «rêve» (petit clin d‘œil à l‘enseigne)!

Un mot encore! Je dédie cette expo à Gérard Thalmann, à qui je dois beaucoup, grand peintre parisien, largement reconnu, qui nous a quitté en janvier dernier. »

*  *  *

Expositions « CB » du 1er au 31 juin 2012.

« Biennale de la République de Montmartre », salle  de St-Pierre de Montmartre, place du Tertre, du samedi 2 au dimanche 3 juin 2012

 Espace vitrine (tapisserie Kerlan) angle avenue Junot rue Caulaincourt – du 1er au 31 juin 2012

 «Au Rêve», 89 rue Caulaincourt – 1erau 31 juin 2012.

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Publié dans : Non classé | le 2 juillet, 2012 |1 Commentaire »

Schoubert, profession…pianiste!

par Eric Boldron 

(paru dans Paris-Montmartre n° 13-73 décembre 2008 et n° 13-74 mars 2009)

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  Avec un tel état civil, on devine que Jean Schoubert «connaît le refrain», mais n’en rajoutons pas! L’humour, de toute façon, est chez Jean Schoubert une seconde nature. Avec cette double vocation, on ne sera donc pas surpris en regardant son parcours. Mais n’attendez pas ce personnage par la porte principale, vous allez le rater…Ce «pianiste de stars» cultive son talent à contre-sens, celui de l’imprévu, un autre talent, chez lui, très naturel…Quand on le voit déambuler l’avenue Junot de son habituel petit pas pressé, courant encore et toujours à ses activités musicales, il nous fait penser à une sorte de professeur un peu rêveur et distrait, sorti d’une œuvre de Hergé ou d‘une pellicule de Méliès. Et ceci donne évidemment l’envie de le suivre. En ce cas, ce n’est plus seulement un rendez-vous avec la grande histoire du spectacle parisien, qui nous attend. C’est la rencontre avec ce que les anciens appellent «toute une époque!». Voici quelques épisodes de ce que Chaplin aurait appelé «une vie à sketch» !

Schoubert fait de la danse!

Le médecin de la famille Schoubert dit un jour au papa, un émigré russe, chauffeur de taxi, comme le veut la tradition: «Il est un peu chétif, ton petit Jean, il devrait faire de la gym!»

Mais quand le petit Jean, va au gymnase, c’est par la porte, très détournée, de l’école de danse. Et le voilà, rare garçon parmi les apprenties ballerines dans son premier rôle artistique… L’ange malicieux, encore très gamin, qui veillait déjà sur Schoubert, était bien inspiré, ce jour là, pour envoyer un pareil élément sur une piste de danse…A cette époque, Jean est déjà très myope … A son premier spectacle, privé de ses lunettes, il perd sa partenaire et en dépit des signes désespérés qu’elle fait pour qu’il la rejoigne, il continue de la chercher à l’aveuglette du mauvais côté de la scène…

Visiblement, la danse n’est pas son truc, et pourtant… Car l’anecdote est trop belle pour s’arrêter là. Schoubert retrouvera, des années plus tard, deux de ses petites partenaires de l’époque. L’une était devenue Mme Bienvenue, secrétaire de l’école de danse de l’Opéra de Paris, l’autre était Claude Bessy la célèbre danseuse-étoile devenue directrice de danse de la prestigieuse institution. Et Schoubert? Il sera pianiste à l‘école de danse de l‘Opéra…

Françoise, ex-danseuse et épouse de André Diot – l’homme aux quatre Molière – s’en souvient encore: « Nous aimions quand c’était lui qui jouait… Il nous donnait l’envie de voler!»

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Jean Schoubert avec les petits rats de l’Opéra.

 

Le Führer à Montmartre!

 

Schoubert est un vrai Montmartrois. Il a vécu la Butte des pavés en bois, des laitiers, des charbonniers qui livraient encore en charrettes à chevaux… Il y a vécu les années noires de la guerre. C’est pendant les bombardements qu’il passe son Certificat d’Études, avec sa classe, dans une cave de la rue Ferdinand Flocon. Dans une telle situation, l’Académie se devait de n’être pas trop regardante. Ils ont tous été reçus!

Curiosité, inconscience? Ca lui ressemble bien. Ce jour là, Jean Schoubert n’a pas obéi à l’autorité allemande… Des véhicules dotés de hauts-parleurs remontant la rue Lepic avaient ordonné aux riverains de s’enfermer chez eux, de fermer les volets et de ne regarder dans la rue sous aucun prétexte. Les militaires allemands tiraient sur tous ceux qui n’obéissaient pas… Schoubert a regardé quand même… Écartant légèrement le volet , il voit, dans le bruit assourdissant d’une impressionnante escorte de motos et d’automitrailleuses allemandes, le Führer, Hitler en personne remontant la rue Lepic a l’arrière d’une Mercedes décapotable…

Cet épisode sera oublié ce jour de août 1944 quand Schoubert montera sur les barricades Caulaincourt-Clichy, lors de la libération de Paris.

Deux ans plus tard, il est 1er prix de conservatoire en compagnie d’un autre élève appelé Michel Ponareff, qui réapparaîtra un peu plus tard, au cours des années « beatnik », sur les marches du Sacré-Coeur.

Schoubert perturbe le défilé!

Sous les drapeaux à Vincennes, Schoubert est affecté – on l’aurait parié – à la musique… aux cymbales!… Lors de la parade du 14 juillet 1950 sur les Champs-Elysées , il perd une cymbale en plein défilé!… L’objet est récupéré, aussi discrètement que possible, par un sous-officier. Mais on ne rigole pas avec le matériel militaire. Cette faute professionnelle vaudra un blâme sévère à son auteur.

« Rodéo pour piano » sur le paquebot « Liberté »

De formation classique, Schoubert découvrira le jazz et New-York, en s’embarquant sur le paquebot Liberté, où il est pianiste dans l’orchestre de bord. Mais Schoubert a le mal de mer. C’est comme pour la danse, le bateau n’est pas vraiment son truc! Cette fois c’est le piano qui danse, au gré de la houle. L’instrument échappe à son malheureux pianiste qui rame désespérément pour en garder le contrôle. Arrivé, non sans soulagement, sur la terre ferme, Schoubert débarque, définitivement guéri des croisières, à la recherche d’horizons et de pianos plus stables. C’est au Sully d’Auteuil qu’il les trouvera … Croit-il!

Rencontre avec Fernand Raynaud

Nous sommes en 1953… Bals populaires, entractes de cinémas, brasseries, cabarets… Jean Schoubert se fait, sur la terre parisienne un itinéraire déjà digne d’un vrai routier du spectacle…

A Montmartre, on le voit « Chez ma Cousine » , ou au « Tire-Bouchon », en compagnie de Bernard Dimey. Chez Patachou, déjà « coupeuse de cravates », il accompagne régulièrement Jean-Claude Darnal. Ce jour-là était présent un chanteur débutant, s’accompagnant à la guitare. Ce dernier souffla à Jean-Claude Darnal: «Si tu n’avais pas eu un contrat avec lui, je te l’aurais piqué, ton Schoubert». Jean Schoubert venait de manquer celui qui était en train de devenir le grand Jacques Brel.

Pour les fêtes de fin d’année, le Sully d’Auteuil avait engagé l’humoriste Fernand Raynaud complètement inconnu encore. La rencontre se fait dans la sympathie. Fernand dit à Jean: «Je fais l’andouille, je chante une chanson puis je fais un numéro de mime… Tu n’auras qu’à me suivre au piano…». Pas de partition. Pour toute répétition, Fernand Raynaud chantonne une vague mélodie: «T’es un peu belle mignonne» que Jean capte tant bien que mal… L’inquiétude tombe vite. En scène, Fernand Raynaud est drôle et Jean Schoubert assure dans un style ragtime a la manière effrénée des pianistes du burlesque. Le duo improvisé est vivement applaudi par le public et félicité par le patron du Sully… Ce soir-là, Fernand Raynaud quitte Jean Schoubert en ces termes: «Si un jour ça marche pour moi, je te prendrai comme pianiste».

Il tiendra parole…

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 Jean Schoubert et Fernand Raynaud.

 

Première scène devant… le président de la République!

Fernand Raynaud devient très vite populaire.

Ce jour-là, fébrile, Schoubert pousse pour la première fois la porte des 3 Baudets, près de la place Blanche. Cet endroit qu’on appelle à juste titre, le tremplin du music-hall, est orchestré par un grand professionnel, Jacques Canetti. Cette scène légendaire voit passer successivement les Frères Jacques, Juliette Gréco, Mouloudji, Catherine Sauvage, Georges Brassens, Jacques Brel, Félix Leclerc, Raymond Devos…

Fernand Raynaud a, ce jour là, appelé Schoubert, mais sans rien lui préciser. On doit juste répéter aux Trois Baudets, c’est tout… Jean Schoubert et Fernand Raynaud sont programmés avant Philippe Clay, accompagné d’un pianiste bègue-zozoteur qui déjà, déclenche l’hilarité dans les coulisses, un certain Darry Cowl… Mais Fernand, inconscient de l’inquiétude de son pianiste non préparé , discute avec les artistes, oubliant complètement la répétition… Tout à coup, sans plus d’explications, Fernand embarque Schoubert dans sa Ford Vedette et ils filent au Palais de Chaillot. C’est là qu’ils vont se produire! Il y a des policiers partout! Schoubert apprend qu’il vont jouer pour un gala en présence du président de la République René Coty! Et ils n’ont même pas répété! Schoubert est paniqué… Lorsqu’il arrive en scène, mort de trac, il entame avec le seul morceau qu’il connaît du répertoire de Fernand: l’introduction de «T’es un peu belle mignonne». Mais Fernand se lance dans un registre complètement inattendu, très « musique de chambre »… Schoubert improvise, attendant le naufrage! Puis la puissance comique de Fernand Raynaud parvient à prendre le dessus et Schoubert, qui, il y a peu, luttait dans la tempête à bord du « Liberté » , en professionnel aguerri redresse la barre… C’est la fin du calvaire! C’est même surpris que Schoubert entend crépiter les applaudissements. Au moment où il croise le regard de Fernand Raynaud, ils éclatent tous deux d’un même fou rire, conscients d‘être revenus de loin…

Telle fut la première scène publique de Schoubert avec Fernand Raynaud… L’ange de la farce, une fois de plus, était son allié.

Mais avec un partenaire tel que Fernand Raynaud, ce n’est plus une tempête, mais un séisme que va devoir affronter Schoubert… Fernand se familiarise très vite avec cet outil encore artisanal qu’est la télévision française, avec son unique chaîne. Voilà le duo emporté dans le sillage de Jean Nohain et des « 36 chandelles ». Dans les coulisses de ce plateau incroyable, on y voit, attendant d’entrer en scène, toute une foule de figurants multicolores, des bretonnes en costumes traditionnels, des joueurs de binious, un « Louis XV » , une « Pompadour », des clowns, des chiens savants, des landais sur leurs échasses, et arrivant après, un Fernand Raynaud qui, avec un culot désarmant, n’attendant même pas son tour, s’empare de la scène, mettant le malheureux Jean Nohain, débordé, dans le plus profond des désarrois… Schoubert, complice devenu victime, connaîtra de nombreuses fois, lui aussi, ces déconcertantes situations. Suite aux improvisations et revirements fréquents de son « partenaire-star » , on le verra parfois venir en scène avec des costumes invraisemblables. Tel ce jour où Fernand, décidant brusquement de venir en scène en smoking, réalise que son partenaire, victime d’un de ces habituels malentendu, est habillé en Néron!

«Pianiste sur mesure, je me suis adapté à sa démesure…» dira Schoubert.

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Fernand et Jean: la détente avant le spectacle.

En 1956, la grande machine est en route C’est le temps des mythiques cabarets: le Port du Salut, l’Echelle de Jacob, la Villa d’Este, le Crazy Horse Saloon, les 3 Baudets

L’origine du »22 à Asnières »

Schoubert fut le témoin privilégié de ce qui inspira la plupart des sketchs de Fernand Raynaud. La peur chronique qu’avait Fernand de l’avion donna le sketch intitulé «le baptême de l’air». Le fameux «y’a comme un défaut» caricaturait ses éternelles préoccupations vestimentaires… Et il y a bien sûr l’observation de ses contemporains qui allait créer la galerie de portraits composée de: Mlle Lelonbec, du caporal-chef de carrière, du cantonnier heureux, du «pauvre» paysan, des «bidasses», de la «sœur»…

Le « 22 à Asnières » n’était pas une idée originale de Fernand Raynaud… C’est justement à Montmartre, chez Plumeau, que son origine fut chaudement débattue à la fin d‘une soirée particulièrement bien arrosée

Sortant de chez Plumeau, rue Poulbot, il y avait là Fernand Raynaud, Jean Schoubert et l’humoriste Christian Mery. Ce dernier harcelait Fernand en ces termes:

« Fernand, ton 22 à Asnières, c’est une reprise de mon sketch «le Taxiphone» . Tu me l’as piqué!

– Tu l’avais déposé, demanda Fernand?

– Heu! Non!

– Parce que tu comprends, quand moi je l’ai déposé, personne ne m’a rien dit! »

Schoubert « racketteur » pour Guérini!

Un personnage aussi original que Schoubert devait bien, tôt ou tard, inspirer quelques idées à Fernand Raynaud. Le sketch «Le racket» est né d’une anecdote entre Schoubert et le célèbre gangster Antoine Guérini.

C’était à Marseille, près du cours Belzunce, où Guérini possédait le fameux restaurant de prestige, le «Versailles» où se produisait Fernand Raynaud. Pour faire une blague à un ami cafetier, Guérini demanda à Schoubert de se faire passer pour un racketteur. Schoubert releva le défi:

« Je ne viens pas pour boire mais pour vous protéger, fit Schoubert au cafetier, au départ vous donnez ce que vous voulez! »

L’autre, surpris, regarda Schoubert.

« Ne bougez pas, fit l’homme à son bar, je vais chercher ce qu’il faut »

Schoubert commença à pâlir, réalisant que l’autre pouvait revenir avec une arme… Mais Guérini, qui n’était pas loin, éclata de rire:

« C’est une blague, Schoubert est le pianiste de Fernand Raynaud…

– Je me disais aussi, il n’a pas vraiment le physique… » répliqua l’autre.

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Fernand et Jean Schoubert à Marseille

« Tonton, pourquoi tu tousses? »

Ce sketch fameux est directement inspiré d’une rencontre entre Fernand et le véritable «tonton» de Schoubert, un brave homme, hôtelier de son état, qui, téléphonant en présence de Fernand Raynaud, désignait Schoubert sous le nom de « Nono »(Jeannot). Schoubert, pour s’amuser, un jour qu’il conduisait Fernand, improvisa dans la voiture, à proximité de la frontière, un scénario au téléphone entre « Nono » et son «Tonton ». Il y était question d’affaires louches, trafic d’argent, passage de douane… Fernand, amusé allait peu à peu, sans rien dire enrichir la réplique, remixant le scénario à la sauce marseillaise, y rajoutant un brin de bicarbonate, un arrière-plan de mafia de quartier , remplaçant « Nono » par « Roro » …

Et un jour, au Casino de Pontaillac, Schoubert, à son piano, assista stupéfait, en direct, à la version « Fernand Raynaud » de sa propre histoire. Le succès fut immédiat! Le public, ne compris pas pourquoi Schoubert se leva de son piano avec un tel enthousiasme, ce jour-là, pour applaudir la prestation de Fernand .

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Fernand Raynaud dérape!

 

Et il y eu bien sûr les autres sketches, vengeurs, dénonciateurs, d’un Fernand Raynaud devenu corrosif… Ce qui était bien dans le ton des années 68.

Le sketch du douanier-qui-n’est-pas-un-imbécile n’avait rien à voir avec une réponse vengeresse à l’un de ces passages de douane un peu trop zélé dont étaient coutumiers Fernand et Jean…L’affaire est plus compliquée. Fernand était en voiture, accompagné de Schoubert et du comédien Michel Vocoret. Et, comme cela arrivait souvent, un automobiliste qui doublait reconnut Fernand Raynaud au volant. Commença un harcèlement à coup de grimaces et de pitreries, qui dégénéra en «si-tu-me-doubles-je-te-redoubles », qui dura pendant des kilomètres. Jusqu’à l’inévitable petite friction de pare-choc à un feu rouge! Coupant court à toute discussion, Fernand Raynaud, irrité, redémarra, plantant là son «admirateur».

Un procès s’ensuivit…Les témoins étant le « musicien », le « comédien », et, dans le box des accusés: le « grand comique » du moment, cela eut un effet médiatique attirant immédiatement le public et la presse . Ce ne fut probablement pas en faveur de l‘accusé. Le juge, excédé de cet afflux aussi inattendu que démesuré dans la salle d’audience, perdra patience et lancera: « Nous ne sommes pas ici au spectacle! »

Fernand Raynaud sera condamné.

L’automobiliste était douanier… Succédant au sketch du « douanier », un autre sketch vengeur verra la jour… Cette fois-ci Fernand Raynaud règlera ses comptes avec la justice dans « Le président ».

Après la mort accidentelle de Fernand Raynaud, sur la route de Clermont-Ferrand le 28 septembre 1973, Schoubert dira, « Il n‘aurait pas vécu vieux, je crois. Il était trop angoissé…» On sait en effet, combien ce mal n’épargne pas les grands humoristes…

Pierre Perret écrira à l’attention de Schoubert «Tu as partagé ses triomphes et assuré sa perpétuelle angoisse de se ramasser».

Cupidon chez Monique Morelli!

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Jean Schoubert et Colette Avril au Café de la Butte.  (Photo Kirsti Aasbø)

Fernand Raynaud, au temps où il venait souvent à Paris, trouvait pratique de venir répéter chez les parents de Schoubert, au 53, rue Lepic non loin de ce qui s’appelait alors le théâtre Maubel, rue de l’Armée d’Orient, où l’on présentait alors des opéras et des ballets.

Si ce lieu s’appelle aujourd’hui Théâtre Galabru, il a bien failli s’appeler, à cette époque, Théâtre Fernand Raynaud… En effet, celui-ci voulait l’acheter…

Schoubert, comme beaucoup de Montmartrois de l‘après guerre, croisa les seigneurs de la pègre du quartier Montmartre-Pigalle. Au 53, rue Lepic, il y avait ce restaurant où, une fois par mois débarquaient pour y faire un repas « familial », les grands gangsters qui avaient pour nom Pierre Loutrel -l’authentique Pierrot le Fou du gang des tractions- Émile Buisson, et aussi Jo Attia, qui trempa dans l’affaire Ben Barka. Jo Attia sera propriétaire du Gavroche, rue Joseph de Maistre et rachètera à Monique Morelli son cabaret de la rue du Chevalier de la Barre. Monique est un personnage qui comptera dans la vie de Jean Schoubert… et pour cause!

Ce soir-là, Monique Morelli chantait Aragon au Théâtre Récamier à Saint-Germain-des-prés et Schoubert devait l’accompagner au piano. Attendu rue du Chevalier de la Barre, Schoubert était encore à Lille. Il avait manqué son train et il n’y en avait pas d’autres. Il trouva bien un taxi mais il ne put le mener qu’à mi-chemin… Largué en pleine campagne, Schoubert parvint à arrêter un livreur de charbon qui le fit monter à l’arrière. Après cinq heures de route, il arriva enfin, plus noir qu’un mineur de fonds, chez Monique Morelli. C’est là qu’il rencontra la chanteuse Colette Avril.

L’ange espiègle, sous les traits de Cupidon cette fois, aura été ému devant ce prince charmant pas comme les autres. Colette Avril, épousera Jean Schoubert quelques temps plus tard en plein dans les bouleversements de 68.

Schoubert y militera d’ailleurs à l’École de Médecine de la Sorbonne en compagnie de Maurice Fanon.

Avec Fanon…

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Jean Schoubert et Maurice Fanon

 

Les inconditionnels de Maurice Fanon, sur scène, se rappellent encore, ce dernier encourageant son pianiste d’un «Va, mon Schoubert!» pensant peut-être qu’il s’agissait là d’un comparatif flatteur, sinon impertinent, avec le génial compositeur de la «Truite»…

Mais ce soir de décembre, à Asnières, où ils étaient attendus, pas de Fanon, pas de Schoubert!

Elyette, les vit débarquer dans son bar «Au Rêve», rue Caulaincourt, avant le spectacle. Histoire de tuer le trac, les verres défilaient. Schoubert inquiet regardait la pendule: « Il faut y aller, Maurice! ». Mais Maurice devait avoir un très gros trac ce soir-là: «Encore un coup pour la route!» Le temps passait… Schoubert désespérait… Il ne parvenait pas à décider Fanon: «Cette fois, il faut vraiment y aller, Maurice!».

Ca devint urgent… Puis hyper-urgent…

«On devrait déjà y être, Maurice!». Maurice avait fini par oublier son trac, il avait même oublié qu’il avait un spectacle… Ils n’arrivèrent jamais! Ils restèrent chez Elyette, qui les vira quand la pendule incrustée de nacre indiqua , l’heure de la fermeture!

A Asnières, il fallut rembourser les places…

Des partenaires, des anecdotes, il y en a dans la vie de Jean Schoubert! On n’a pas encore cité Barbara, Ricet Barrier, Guy Béart, Romain Bouteille, Bob Christian, Datzu, Pierre Doris, Jean Ferrat, Serge Gainsbourg, Bernard Haller, Bobby Lapointe, Pierre Louki, Colette Magny, Georges Moustaki, Catherine Sauvage, Anne Sylvestre, Henri Tachan, Pierre Vassiliù…

La musique est à tout le monde, Schoubert joue aussi pour les prisonniers de Fleury-Mérogis.

Jean Schoubert a fait un livre sur Fernand Raynaud*. Pierre Perret, qui l’a préfacé, a écrit: «Ami Schoubert, tu es le revers d’une médaille d’or étincelante… ».

L’auteur des « jolies colonies de vacances » et de « Lili » a ainsi par cette très belle formule clairement exprimé toute la valeur de ces artistes dits « de l’ombre », travaillant à mettre les autres en lumière. Un revers, une face cachée fait du même or, et qui s’est donné comme mission de faire briller l‘autre face. Bien joué, mon Schoubert!

Eric Boldron

* Fernand Raynaud par Jean Schoubert, éditions Flammarion.

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 Jean Schoubert, Nawel Sabri, Didier Prat, Colette Avril: soirée chanson  au « Rêve ».  

 

Jean Schoubert nous a, hélas, quitté le 14 janvier 2020…

 

 

Publié dans : Non classé | le 12 avril, 2009 |13 Commentaires »

Elyette… « Madame Rêve »!

par Eric Boldron

paru dans Paris-Montmartre n°13-74 mars 2009

Photos Bénédicte Delamain

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Elle voulait une sortie discrète, on ne l‘a pas écoutée.

Ce soir du 20 décembre 2008, une foule impressionnante bloquait la rue Caulaincourt et il n’y guère que les gens du quartier nord de Montmartre qui savaient pourquoi. Pour ceux-ci, ainsi que pour beaucoup de montmartrois de tous horizons, il ne fait aucun doute que l’événement 2008 s’est passé au « Rêve ». On avait bien craint quelques larmes, ce fut exactement le contraire. L’esprit était à la célébration d‘un événement marquant: Elyette, la dernière « bougnate » du quartier a tiré sa révérence en beauté… Et dans la joie, ce qui est bien dans l’image du personnage… et de son enseigne!

Très dure cependant la dernière ligne droite! Pas vraiment à cause de l’appréhension des derniers jours, mais surtout pour le travail qu’Elyette a dû assurer ces derniers mois, fidèle à elle-même, pour satisfaire tout ce monde à la fois. Entre les derniers services-restaurants du mercredi, déjà complets un mois à l’avance, puis les petites fêtes décidées en son honneur, comme son intronisation, le 8 décembre par la Commanderie du Clos-Montmartre, venaient tous ceux qui ont voulu, en décembre, fêter, une dernière fois au Rêve leurs anniversaires, rien que pour la joie d’être servis par « elle ». Ils ont bien failli l’avoir à l’usure. Mais, elle garda la tête haute, elle en avait vu d‘autres!…

Il aurait été fier, le père Planchon… Cet endroit qui fut son Rêve, à lui…

Etienne Planchon, le père d’Elyette , arrivé depuis 1926 de sa Lozère natale, bosseur acharné, et fort de son expérience professionnelle au cœur des milieux « bougnats » parisiens décida, en 1955 de prendre les commandes du Rêve. Élyette avait 11 ans. La saga des Planchon était commencée. Etienne, forte personnalité – c’est de famille – se fit vite un nom à Montmartre. Le « Rêve » déjà auréolé de légende de par sa position sur la Butte, puis de par les personnalités qui le fréquentaient était un endroit déjà très populaire. Simenon, en 1924 s’y installait pour écrire, tandis qu’en face, la « foire aux croûtes » de Depaquit animait la place Constantin Pecqueur. Alors que peu à peu, disparaissait le maquis de Montmartre, apparaissaient Céline, Gen Paul, d’Esparbès comme les éclaireurs de tout un défilé d’artistes de tous bords, qui vont devenir les « réguliers » du Rêve.

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Elyette Segard-Planchon

Elyette, qui est une encyclopédie d’anecdotes, nous raconte qu’au tout début du XXe siècle, cet endroit était une crèmerie qui fut transformée en bar. Le mot « Rêve » viendrait du fait qu’on y servait de l’absinthe, dont les effets « planants », disait-on, menaient parfois à la folie. Quand l’absinthe fut de nouveau autorisée en 1988, Elyette, pour la tradition, ne manqua pas de la rétablir dans son bar.

Vite familiarisée avec les « piliers » des lieux, la très jeune Elyette comprendra vite, en grandissant, qu’elle vivait dans un environnement pas comme les autres. Quand elle eut l‘âge d‘aller danser, ses parents soucieux de sa protection, lui collèrent comme chaperon, l‘une de ces « figures locales » Jean Millien, dont les «coups de gueules », malgré sa disparition, semblent résonner encore sur la Butte. Rue Fontaine, au détour du Bus Palladium, il faisait tellement peur aux cavaliers d’Elyette qu’elle avait bien du mal à se trouver un partenaire…

En 1962, après le décès de sa mère, Elyette se voit de plus en plus mobilisée au bar où elle doit aider son père. Mais le pauvre père Planchon ne survivra pas longtemps à la disparition de son épouse. A 18 ans, Elyette, devenue chef de famille, son jeune frère à sa charge, devra sa chance, à la protection des amis, très influents, de son père, dont le commissaire Farges. Bien que la majorité légale soit à cette époque, 21ans, elle obtient une autorisation spéciale et devient l’une des plus jeunes patronnes de bistrot sur le territoire national. En dépit des jalousies que cela suscite, Elyette assure avec courage, faisant tout dans l‘établissement, y compris la cuisine. Heureusement, elle est soutenue encore et toujours par des amis plein d’idées: Pépito et ses enchères improvisées, la fameuse « Ginette », du restaurant voisin, qui lui envoie ses clients pour l’apéritif, son ami Marcel Aymé, qui acceptera d’être le témoin de son mariage avec Pierre dit « Picsou ». Mais Marcel Aymé meurt quelque mois avant l’évènement. Picsou, qui est surnommé ainsi parce qu’il travaille à la banque, deviendra désormais, en marge de ses activités, son partenaire précieux dans ce métier difficile. « Je n’aurais pas tenu le coup sans lui !» dira-t-elle souvent…

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Elyette et Pierre, dit « Picsou ».

Riche carrière, puisque Elyette aura connu successivement les premiers peintres qui « firent » la Place du Tertre, comme Van Mulder. Elle aura connu les artistes des studios Pathé-Cinéma de la rue Francœur. Aux Damia, Marie Marquet, Jean Marais, Georges Geret ont succédé Marcel Bluwal, Danièle Lebrun, Bérangère Bonvoisin, Agnès Bihl, Gérard Maro, Fabrice Luccini, Jean-François Balmer, Cécile de France, les gens de la Fémis, les élèves des écoles de théâtre qui viennent, tard et nombreux casser la croûte après les cours. Elle aura connu les gens de la BD, surtout Golo, dont les dessins au mur ont illustré Élyette à chaque nouvelle décennie, et Claire Brétécher, sa copine. On y ajoutera toute la société des gens de la nuit, ceux qui partent le soir au travail, puis les noctambules, ceux qui n’hésitent pas parfois à traverser Paris, sachant que, quoi qu’il arrive le Rêve reste ouvert jusqu’à l’heure légale de fermeture. Elle aura vu se ici nouer des liaisons amoureuses comme celle, très discrète de Jacques Brel et de Suzanne Gabriello… Liaisons… Mariages… Il faut aussi parler des enfants, tous ceux qui se sont succédés aux écoles toutes proches de Constantin Pecqueur et Saint-Jean de Montmartre, qu’Elyette a vu grandir, devenir adultes, amenant à leur tour leur propres enfants. Ayant ainsi déjà connu trois génération à Montmartre, il est facile de comprendre pourquoi Elyette, aujourd’hui, connaît tout le monde…

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En 2002, ont lui décernait la Médaille du Mérite. C’était mérité!

En personnage bien de son temps, elle aura même relevé des défis pour le moins originaux. Les montmartrois du quartier ne sont pas prêts d’oublier, en 2008 cette image insolite d’Elyette parcourant la rue Caulaincourt à dos de chameau!

Le 20 décembre 2008, ce fut une vraie fête, sous le signe de la joie et de l’amitié… Le vieux téléphone à jetons, a encore pas mal fonctionné ce jour-là. Ici même les objets ont de la ressource! C’est comme la pendule! Elle était encore loin de marquer l’ « heure de la fermeture » lorsque les poulbots arrivèrent. Jacques Villa, qui avait bien préparé son coup, se précipita dehors, son papier à la main, et prit rapidement la direction de l’orchestre…

Il lut son poème et les poulbots lui donnèrent la réplique:

« Chers Elyette et Picsou, goûtez ces jours nouveaux,

Qui vous offrent sans freins un heureux avenir

Disposant l’un et l’autre d’une grande énergie

Nous vous imaginons volant de par le monde

Mais revenant toujours retrouver vos amis

En des lieux sympathiques qui ,sur la Butte abondent…

….. Final (partie chantée)

De votre belle cage écartant les barreaux

Bien vite vous décollez vers les deux hémisphères

Prenez-vous des avions? Prenez-vous des bateaux?

Alors là les amis, on n’en n’a rien à faire

Surtout amusez vous, aiguisez vos cultures

Mais en faisant les fous, évitez les bitures

Vive Elyette et vive Picsou

Revenez vous joindre à nous

Vive Elyette et vive Picsou

Et belle vie à vous!

Et belle vie à vous! »

En fait, il y eut tout de même quelques larmes à ce moment là. Tout comme quelques heures auparavant, quand Michou était venu saluer respectueusement la grande dame.

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Elyette, Michou, Picsou (photo Kirsti Aasbø)

Triste de partir, Elyette? Pas du tout! Puisque, comme le laisse entendre le poème, en dehors de petits voyages par-ci par-là, elle reste en ce cher Montmartre qui lui a tant apporté. On n’efface pas comme çà un demi-siècle de carrière au Rêve…

Le « Rêve » continue. Avec la bénédiction d’Elyette, c’est un autre Etienne, bien connu dans le quartier, qui succède aux Planchon. . Il est probable que, pour longtemps encore, l’expression: « On va boire un verre chez Elyette? », nous échappera. D’autres, ceux qui ont loupé un épisode, arriveront au Rêve, tout étonnés: « Quoi! Ce n’est plus Elyette? ».

Pas de problème! Le nouveau patron du « Rêve » sait très bien à qui il succède…

Elyette, bienvenue dans l’histoire éternelle de Montmartre!…

Eric Boldron

 

Publié dans : Non classé | le 12 avril, 2009 |11 Commentaires »

Le manège d’Amélie Poulain s’est refait une beauté

 par Jean-Manuel Gabert (paru dans Paris-Montmartre n° 13-67  juin 2007)

p1010004b.jpg Eric Boldron

La première grande restauration du très cinématographique manège du square Louise Michel, dont les tableaux vénitiens, constamment exposés aux intempéries et -pis encore – aux rayons solaires, étaient menacés, vient d’être menée de main de maître par le décorateur, peintre et illustrateur Éric Boldron. S’il existe une vingtaine de manèges de ce type en France, deux seulement atteignent cette qualité de décoration. Et il, est le seul doté d’un plancher avec bancs et lampadaires. On peut donc affirmer qu’il s’agit d’un manège unique, qui nécessite un entretien rigoureux, ne serait-ce que pour le changement de ses lampes et ampoules: il en possède 2000! Reconstitution particulièrement fidèle des manèges du XVIIIe siècle, réalisé à la main par des artisans français, il est apparu dans de nombreux films mais c’est bien sûr « Le fabuleux destin d’Amélie Poulain » qui a fait de lui une star montmartroise incontestable, charmant premier plan coloré au pied de la basilique, d’où s’égrènent les mélodies parisiennes mythiques. Il fait 16 mètres de diamètre au sol et 10 mètres de haut. C’est un manège à double étage de 70 places avec, surtout ces chevaux à hampes dits chevaux « sauteurs », qui sont la figure ancestrale du genre. Tout en haut, le lambrequin extérieur est illustré de paysages vénitiens, tandis que le dessous du chapiteau représente des paysages et scènes galantes dans l’esprit de l’école vénitienne du XVIIIe siècle. Les deux étages sont séparés par des médaillons décoratifs: en tout, c’est une cinquantaine de tableaux qui orne le manège, dont chacun vient d’être entièrement restauré par Éric Boldron, peintre de fresques, auteur de décors, spécialiste de l’art forain… que nos lecteurs connaissent bien puisqu’il illustre régulièrement la Rubrique  Chansonnière de Paris-Montmartre.

 Lounis, le responsable, est ravi du résultat, et lorsqu’on lui demande si son cher manège n’est destiné qu’aux enfants, il s’exclame:

« Pas seulement! Il y a aussi les parents qui veulent accompagner leurs petits et partager avec eux ce moment. Mais nous y recevons aussi beaucoup d’adultes de tous âges, sans enfants, ainsi que de nombreux touristes, souvent des amoureux… Leur préférence va presque toujours aux chevaux!

« Tournez, tournez, bons chevaux de bois

Tournez cent tours, tournez mille tours

Tournez souvent et tournez toujours… » (Paul Verlaine)

Éric Boldron a créé de nombreux décors et fresques. A Montmartre, son village, il a réalisé les décors d’établissements tels que le Café de la Butte, Au Rêve, Les Copains d’abord, Ô Beau b’Art, Il a réalisé des décors de fête pour la foire du Trône, la Fête à Neu-Neu. Il est le concepteur du Manège impressionniste de la gare Montparnasse, ainsi que des superbes stands de la place d’Anvers évoquant le vieux Montmartre à la Belle Époque, qui ont malheureusement étés retirés après le réaménagement du boulevard.

Jean-Manuel Gabert

 

Publié dans : Non classé | le 12 avril, 2009 |2 Commentaires »

Jean Millien

 

par Eric Boldron 

  Paru dans « Paris-Montmartre » n° 13-62 - Mars 2006 

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Jean le Terrible et Eric Boldron au « Rêve », en 1988.

***

Il entra… “  dans un bruit de tempête ” aurait dit Jacques Brel. Car il ne savait pas entrer autrement. Mais nous n’étions pas à Amsterdam, et le personnage n’était pas marin. Nous étions à Montmartre! La tempête se prénommait “ Jean ”.

“ Fumiers d’Anglais! ” cria-t-il de sa voix fracassante, couvrant les grésillements d’une radio mal réglée qu’il cachait, quelque part sur lui.

“  Tiens! V’là ton idole! ” me dit, avec son accent de titi parisien le Gaulois, mon voisin de bar.

Si vous aviez vu l’allure de « l’idole »!

« l’Armée Rouge dans la rue Blanche! » hurla Jean Millien.

Imaginez un énergumène avec un blouson en toile bleue délavée, un béret à l’envers sur la tête, un short trop large révélant des jambes frêles avec des genoux cagneux, aux pieds d’énormes baskets pleines de peinture… et, pour compléter ce tableau déjà surréaliste, un pneu autour du cou!

Mon « idole» ! Le terme est bien sûr une métaphore pleine d’humour . Mais il est vrai que je n’ai jamais caché ma sympathie à l’égard de Jean Millien.

Aux gens de passage qui demandaient: “ Qui c’est, ce cinglé? ”, combien de fois ai-je été tenté de révéler le potentiel insoupçonné de ce personnage qualifié, souvent à juste titre, d’ “ insupportable ”. Mais il aurait fallu étaler les multiples étapes de son étonnant cheminement de peintre:

Citer les Beaux-Arts de Prague, les Arts Décoratifs de Paris, parler de son association d’artistes de la Côte Basque, des toiles que lui acheta l’état, de celle qui entra au musée d’Alger, de sa collaborations avec Robert Naly, avec lequel il développa de façon véritablement alchimique  sa science de la gravure et de la couleur. Il aurait fallu parler de ses autres collaborations, Paul Eluard, dont il fit le portrait, de sa rencontre avec Marcel Aymé, d’un portrait qu’il fit de Georges Brassens, lorsque celui-ci chantait à Montmartre, ou encore du père de Johnny Halliday qu’il hébergea dans son atelier, rue Caulaincourt, de Claude Nougaro qui le recevait avenue Junot….

Et tout à coup voilà notre Millien, toujours à la porte du bar, qui lève le poing et se met à beugler en allemand:

“ Ein Volk! Ein Reich! Frankreich! … Chirac! » (Un peuple! Une nation! La France! …Chirac!)

Jean Millien, anarchiste inclassable, se fichait complètement de la politique mais ce nom de Chirac, encore Maire de Paris à l’époque, avait un son qui lui convenait: ça déchirait bien le silence! Si on pouvait parler de silence, avec cette cacophonie radiophonique qui de toute évidence, émanait du pneu. Le Gaulois – un intrépide celui-là – osa interrompre notre héros en colère en lui demandant de baisser la musique. Jean Millien, l’air menaçant, le fixa, plongea la main dans le pneu… et … offrit le transistor toussotant au perturbateur avant de s’engager dans l’allée centrale du café.

“ Petit fumier, fit Millien en plissant les yeux .”

En fait, on ne savait pas trop à qui ça s’adressait, Millien arpentait les lieux en nous dévisageant l’un après l’autre.

“ Petit fumier! répéta-t-il deux fois encore ”

S’approchant d’une jeune femme, pas très rassurée, il sortit sèchement une rose du pneu et, sans quitter son rictus menaçant la lui offrit. Mais bientôt, le visage de l’ “ homme au pneu ” se métamorphosa en sourire radieux. Il entonna, la main sur l’épaule de sa nouvelle copine “ Bal, petit bal ” de Francis Lemarque. En version “ Millien ”, ça donnait:

“ Quand je t’ai connue,

Tu montrais ton cul,

A tous les passants… ”

Cela fit beaucoup rire la jeune femme. Mais déjà Millien s’était retourné, et avait repris son air “ terrifiant ”.

Le pneu était pleins de trésors. Jean offrit une boîte de pastels a un enfant attablé avec son père, un livre à une mamie, une boîte de clous à son conjoint… Il distribua ainsi toutes les autres babioles qu’il possédait, jusqu’à ce que le pneu soit vide.

Le Père Noël avait fini sa tournée. Il posa son pneu au pied du bar et commanda un verre de rouge.

Le Gaulois, allait partir. Au moment de payer: “ J’prend le verre du “ p’tit fumier ” dit-il en désignant Millien. Puis il sortit, oubliant sur le bar le transistor éteint.

Millien, silencieux, était accoudé au bar devant son verre. La nuit tombait.

C’était sa pause, en attendant d’aller “ terroriser ” un autre versant de Montmartre.

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« Oeuvre d’art mutilée par un abruti! »

Témoignage bien représentatif du personnage: un des acheteurs réguliers de Millien, furieux de subir ses « sales blagues », lui renvoya, lacérée, l’une de ses toiles. Millien rassembla les morceaux et en fit cette oeuvre originale que Elyette, du« Rêve » a toujours gardé.

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Publié dans : Non classé | le 6 septembre, 2006 |10 Commentaires »

Jean Millien: itinéraire d’un enfant terrible…

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Jean Millien est né en 1918 dans l’Oise. Fils de boulanger, il part, après la séparation de ses parents, vivre avec sa mère à Prague où il étudiera les Beaux-Arts. Ce sera là le tremplin qui le conduira jusqu’à l’Ecole Nationale des Arts Décoratifs de Paris d’où il sortira diplômé en 1939. Sa période « basque » sera ensuite son envolée vers le début d’un « âge d’or ».   Jean Millien a vécu à Montmartre de1947 à 1993.
Il est mort à 79 ans à la Maison des Artistes de Nogent-sur-Marne le 14 avril 1997, le jour même de son anniversaire.
  Dans l’esprit des habitants de la Butte, s’il a laissé le souvenir du peintre « des marines apaisantes » il aura en revanche marqué les mémoires en tant que « provocateur » ingérable et farceur.   Il faut tout de même citer  un évènement qui aura compté dans sa vie et son  oeuvre: la sismothérapie (électrochocs )  aux alentours de 1947.
 Au cours de sa vie, se dessinent 3 périodes où Millien, d’abord peintre aux couleurs fortes et au dessin très «expressionniste », deviendra le peintre de marines que l’on connaît.

1ère période – La période « basque »

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Biarritz (1942)

En 1939, il est déjà un jeune peintre plein d’audace. A peine sorti, diplôme en mains, des Arts Décoratifs de Paris, Jean Millien devient en 1941 l’un des fondateurs des “ Saltimbanques”, mouvement artistique qui dépasse largement le cadre de la peinture. Le noyau fort de ce groupe culturel qui marquera longtemps la Côte Basque est composé entre autre du peintre et graveur Robert Naly – qui amènera Millien à Montmartre – du maître-verrier Jean Lesquibe et plus tard, du romancier François-Régis Bastide.1945  voit  la   naissance de son fils Frank. Mais lorsqu’on est habité d’un pouvoir imaginaire aussi puissant et  fécond que Jean Millien, il y a fort à penser que son univers familial n’ait eu à en souffrir. Deux ans plus tard, Colette Mill, la mère de Frank, artiste elle aussi, le quitte pour s’installer avec son fils en Savoie. Jean Millien, en même temps que  Antonin Artaud a connu les services du Docteur Ferdière qui, on le sait, s’est penché de près sur le cas des artistes contemporains, du surréalisme jusqu’à l’art brut.  Les électrochocs, à l’époque s’ administraient  sans anesthésie. Le malade assistait aux préparatifs et en finale, le cerveau du patient était plongé dans un bain d’électricité. Il ne s’agit pas là de faire le procès de la sismothérapie qui, est toujours  pratiquée aujourd’hui dans des cas exceptionnels. Le traitement est administré à présent sous anesthésie générale et, comme toute opération sous anesthésie, il nécessite, fort heureusement, le consentement du  malade.  Si le Docteur Ferdière a cité longuement Antonin Artaud, il parlera également de Jean Millien  en novembre 1949 lors d’une conférence intitulée « L’art et le rêve face à la psychanalyse » Il  y rapporte les similitudes qu’il a décelé dans les rêves de plusieurs artistes et voit en Millien celui qui a su « apparenter humour et poésie »

2ème période: Le peintre «mystique»

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Décrire les conséquences des électrochocs sur la vie et l’œuvre de Jean Millien serait trop long mais on peut constater que l’expression de ce créateur, dont la critique salue depuis longtemps déjà la puissance incontestable,  va prendre des « couleurs » nouvelles.
 Est-ce une volonté de rétablir l’équilibre? Millien a visiblement prit un tournant mystique, car abondent dans son œuvre les valeurs religieuses ou symboliques. Celles-ci s’annonçaient déjà avec sa collaboration avec Lesquibe lors de réalisations de peintures et de vitraux pour des églises basques, dont la cathédrale de Bayonne. Il représente des « Vierge», des  Anges , des «  Christ » et des symboles caractéristiques tels que poissons, chevaux, colombes. On y ajoutera les portraits de personnages  dont la force créatrice l’aura sans doute influencé (Eluard, Bachelard, Villon…) Sa période « mystique » est très productive a en juger le nombre d’expositions et de salons auxquels il participe, appuyé en cela par une presse artistique particulièrement élogieuse.

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Gaston Bachelard, pour la revue « Combat », 1957.

3ème période – Le peintre de marines.

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Il faut noter un fait curieux: le docteur Ferdière avait, dans sa conférence de novembre 1949, où il était question de Millien, fait un rapprochement entre  «mer » et « mère ».1959  voit le décès de la mère de Jean Millien et aussi l’amorce d’un nouveau virage dans l’oeuvre du peintre. Millien avait vécu à Pragues une jeunesse plutôt dorée. Mais sa mère était un personnage tourmenté. Après 1959, il peint de plus en plus de marines. En 1960, au Salon de la Peinture à l’eau, l’œuvre de Millien a déjà atteint, dans tous ses paysages, un dépouillement très net. On sent notamment, à travers une recherche délicate et sensible de ses bleus, comme une volonté d’exprimer la mer comme un élément d’une valeur désormais essentielle, comme si l’eau – salvatrice – représentait pour lui l’ultime richesse de la terre.  Les belles et délicates marines de Jean Millien, qu’il produira en grand nombre, seront donc sa dernière expression de peintre. Peut-être n’avait-il plus rien à prouver ensuite, ayant réussi à trouver l‘essentiel. A la fin de sa vie il ne travaille plus. Le peintre fait le pitre! Ces périodes où Jean « s’éclate», sont entrecoupées – des mois durant parfois – de fortes dépressions. Car la vérité est là aussi: ce comportement cachaient un état dépressif que certains ont jugé parfois trop vite chez Millien.En règle générale, les Montmartrois du versant Caulaincourt, en dépit des extravagances de leur  « phénomène », l’aimaient bien. Lorsqu‘ils en parlent, ils témoignent toujours à son égard  de leur générosité, de leur humour, d’un noble sens de légèreté caractéristique à notre quartier. Pendant que l’on se souvient encore de lui, il nous semble que l’histoire de Jean ne devrait pas s’arrêter ainsi. A l’heure où la « Mélancolie » s’affiche au Grand Palais, tandis qu’au Musée d’Art Naïf, Halle Saint-Pierre, s’exposaient récemment les « Brésiliens en hôpitaux psychiatriques »  nous verrions avec joie  les  gardiens de cette culture picturale qui est tout de même l’une des principale richesse de la Butte, ouvrir à nouveau les portes à ce « poète disparu » . A quand donc l’exposition: « Hommage à Jean Millien », enfant terrible de Montmartre? Et pourquoi pas au musée de la rue Cortot?

Eric Boldron

 

 

 

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Remerciements:
A Frank Millien, Elyette Segard-Planchon, Nawel Sabri

 

 

 

 

  

 

Publié dans : Non classé | le 6 septembre, 2006 |8 Commentaires »

Le retour de la Foire aux Croûtes de Montmartre

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Linda Altor de l’Atelier ALB était à la Foire aux Croûtes

*   *   *

2005, GRAND RETOUR DE LA FOIRE AUX CROÛTES

par Jean-Manuel Gabert (photos Jacques Habas)

(Paru dans Paris-Montmartre n° 13-6O octobre 2005)

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 Jean-Paul N’Guyen et les enfants de Montmartre.

 

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  Elyette Segard-Planchon (Au Rêve), Ludovic Lesage (Le Maquis), Eric Boldron et Nawel Sabri.

   C’est à l’initiative du peintre Honu (le nom d’artiste de Jean -Paul N’Guyen) et aux membres actifs de l’association Maquis’Art Montmartre, créée en juin 2004, dont le peintre-décorateur Eric Boldron, et la pharmacienne la plus passionnée, Nawel, que la Foire aux Croûtes a pu renaître de ses cendres à l’endroit même où elle était née en 1921, dans une version 2005, sans doute, mais bien enracinée dans l’esprit populaire et joyeux, artistique et loufoque des origines.Avec pour ce retour, des animations variées, une performance collective des artistes, et un concours de dessin ouvert aux enfants des écoles de Montmartre, sur le thème: « Dessine-moi ton Montmartre !» et des lectures de contes par Sylvie Loriquer de la librairie l’Attrape-Cœurs.

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Danièle Lebrun, (marraine de la Foire aux Croûtes), Eric Boldron,  Marcel Bluwal, Gérard Maro (directeur du Théâtre de l’Oeuvre et parrain de la Foire aux Croûtes), Elyette Segard-Planchon,  Nawel Sabri. 

  Associations, commerçant, riverains, écoles, artistes: tous ont répondu présent pour donner vie à ce beau projet bien arrosé par les champagnes Fleury, et il faut les en remercier.   Il s’agissait donc de faire revivre ce versant nord un peu oublié, un peu léthargique, et le pari est gagné… Voilà une association nouvelle, qui retrouve l’esprit authentique des grandes aînées , au temps de leur belle jeunesse.

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 La performance d’Exhal’Art.

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 Nagui, Nawel, Brice Moyse (Immopolis, partenaire de la Foire aux Croûtes), Danièle Lebrun, Laurence Goldgrab, Jean-Paul N’Guyen, Daniel Vaillant, Christophe Caresche, Brigitte Houdinière, Jean-Marc Tarrit.   

Le concours de dessin  « Dessine-moi ton Montmartre » avait été adressé à 7 écoles de Montmartre. C’est le CE2 de Mont-Cenis, sous l’impulsion de l’instituteur, M. Jacques Bachellerie qui a remporté le premier prix. Mais comme on aurait voulu les récompenser tous,   toutes les classes ont gagné des sorties culturelles offertes par le Musée de Montmartre, l’espace Dali, les cirques Bouglione et Moreno, les théâtres de l’Oeuvre et de Dix-heures, les Petits trains de Montmartre,, des animations performantes avec Eric Boldron et Clarence Gadda. Bravo à tous les « Maquis’arts »: le président Jean-Paul N’Guyen, Eric Boldron et Nawel Sabri, Alexandre Fauchon, et les autres pour cette belle idée bien réalisée.

 Jean-Manuel Gabert 

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  Toute l’équipe du jury du concours « Dessine-moi ton Montmartre! »

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*  *  *

2009: les  » Maquis’Arts » remettent ça! 

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Alexandre Fauchon, Jean-Paul Nguyen (Honu), Eric Boldron

Ressuscitée en octobre 2005, cette initiative du peintre Honu – de son vrai nom Jean-Paul Nguyen – et de ses acolytes, le peintre-illustrateur Éric Boldron, et Alexandre Fauchon, trésorier de l’association Maquis’Art Montmartre aura été dans le secteur Lamarck-Caulaincourt, l’un des évènements les plus populaires de ces cinq dernières années qui, mis à part les non moins populaires vides-greniers de Montmartre à la Une était, jusqu’ici, en mal d’évènements. Pourquoi? Cette jolie place Constantin Pecqueur, au début du siècle dernier, fut pourtant le théâtre des plus belles et des plus folles initiatives qu’ait connu le vieux Montmartre… Vous nous manquez, Poulbot, Depaquit, Frédé, vos et vos compères qui animèrent si bien ce quartier-clé de la Butte!.. Celui du maquis, des vignes, du Lapin Agile, de la rue Saint-Vincent…

.. Sa statue d’Eugène Carrière, son petit jardin public, sa fontaine en pierre – un hommage à Steinlen qui habitait en face… Lorsque tout a commencé, en ce mois d’avril 1920, il n’y avait encore rien de tout cela , sauf Steinlen en personne, peut-être. La place Constantin Pecqueur, telle une ultime relique d’un maquis de Montmartre à l’agonie, n’était encore qu’un parterre de jeunes marronniers… Montmartre, malgré son rattachement à Paris en 1860, revendiquait encore et toujours son indépendance…

C‘est là qu’intervinrent trois joyeux drilles qui avaient décidé, dans cette atmosphère un peu rebelle, qu’était cette pénible période d’après-guerre, de mettre le feu aux poudres d‘une façon tout à fait farfelue. Avec la joyeuse complicité d’un peuple montmartrois, qui, de toute évidence, n’attendait que ça, ils eurent l‘idée de ce canular invraisemblable: proclamer la Commune Libre de Montmartre, désormais séparée de l’État!… Qui étaient ces trois lascars? Frédé du Lapin Agile, Maurice Hallé, poète et directeur du bi-mensuel La Vache Enragée et Jules Depaquit dessinateur humoriste. Le plus sérieusement du monde, ils organisèrent, place du Tertre, des élections pour le moins inattendues: on pouvait voter entre autres pour la liste Cubiste de Picasso, Max Jacob et Cocteau ou encore pour la liste Dadaïste de Tzara, Breton et Picabia. On ne reculait devant rien: il y eut même une liste Antimontmartroise!.. Finalement, c’est la liste des Antigratteciellistes de Poulbot, du Père Frédé et de Suzanne Valadon qui l’emporta le 11 avril 1920, confortant de ce fait Jules Depaquit, comme 1er maire de la Commune Libre de Montmartre! Dernier rescapé des authentiques bohêmes de cette époque, maître en dérision et en ironie, le tout agrémenté d’un joyeux cynisme, Depaquit se proclama dans la foulée:  » père, maire, et dictateur inamovible « …Vêtu de sa redingote, de son chapeau haut de forme, d’une écharpe rouge et verte, et les pieds chaussés de sabots, il présidait avec dignité et drôlerie, les cérémonies organisées sur le territoire… Ainsi, c’est au 4 de la place Constantin Pecqueur, devenu siège social de la Commune Libre, que furent lancées les festivités: d’abord l’élection d’une Muse de Montmartre, suivie de nominations d’officiels, parmi lesquels: un capitaine de pompiers, énorme et casqué nommé Bibendum, un débonnaire et familier garde-champêtre, que tous appelaient Mon Oncle, un amiral, puis tout un lot de hauts dignitaires tout aussi colorés…Arrivèrent les compétitions et défilés: le concours du fumeur, la traversée de la Butte à la nage, l’inauguration de la pompe à incendie, la courses des cousettes, la course de la plume et du pinceau, la fête des gosses, que présidait Poulbot, la Corrida de la Vache Enragée …

 Montmartre ne s’ennuya pas sous Depaquit!

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 C’est le 17 avril 1921 que fut inaugurée la première Foire aux Croûtes… Ce marché aux tableaux, rigolard et libertaire, ponctué des animations les plus extravagantes, se tenait en plein air. Peintres et dessinateurs exposaient leurs productions place Constantin-Pecqueur, avenue Junot et rue Caulaincourt. Les tableaux étaient présentés sur leurs chevalets ou accrochés à des cordes tendues d’un marronnier à l’autre, ou sinon, posés à même le sol au pied des arbres.… La Foire aux Croûtes permettait, disait le slogan:  » … à tous ceux qui veulent bien mais ne savent pas, de vendre directement  leurs œuvres à l’amateur venu musarder sur la place « . Elle attira tant de monde qu’elle allait bientôt être suivie d’ une deuxième édition, le 5 juin de la même année…Devant ce succès, on la réitéra tous les trois mois. Par la suite, elle se tint à cet endroit jusqu’à six ou sept fois par an.

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Montmartre 1921: la place Constantin Pecqueur (au fond, la rue Caulaincourt) pendant la Foire aux Croûtes.

C’est pendant l’une des Foires aux Croûte de 1924, que Georges Simenon alors « conteur » pour Le Matin écrivit son premier récit populaire Le roman d’une dactylo, assis à la terrasse du  » Rêve « . Simenon se flattait de l’avoir écrit en une longue matinée, en attendant sa femme, qui exposait, juste en face, sur la place Constantin Pecqueur. Le peintre Jean Hélion, voisin de  » stand  » de Régine Simenon, nous dit comment Georges venait de temps en temps défendre avec une  » belle verve « , devant les passants, les œuvres de son épouse.

La Foire aux Croûtes se tint, sur la place Constantin Pecqueur, jusqu’à 1928,avant qu’elle ne s’étale vers les autres rues de Montmartre pour enfin aboutir, jusque dans les années 50 sur le boulevard de Clichy. Depuis, des Foires aux Croûtes plus ou moins importantes n’ont cessé de fleurir un peu partout en province. En 2008, la 19e Foire aux Croûtes de Brest, rendait même un vibrant hommage à Jules Depaquit en lui consacrant l‘évènement…

A Montmartre, sur la place restée vide pendant des années, les derniers témoins de ces temps révolus, sont les marronniers, aujourd’hui centenaires…

85 ans après, en 2005, quand, à la manière des trois mousquetaires de la Commune Libre de 1920, les trois « Maquis’Arts  » arrivèrent sur la place Constantin Pecqueur, dans le but de faire revivre l’initiative de leurs prédécesseurs, on les regarda avec une méfiance mêlée d‘incrédulité… Même les institutions hésitèrent…

 

Mais le miracle se produisit, les Montmartrois du versant nord, pas si amnésiques que ça en fait, accueillirent l’événement avec une chaleur qu’on n’espérait plus. Associations, commerçants, riverains, écoles, artistes tous répondirent présent, heureux de redonner vie à leur quartier! Le 8 octobre 2005, à l’endroit exact où était née la Foire aux Croûtes de 1921, plus d’une centaine d’artistes: peintres, photographes, musiciens, comédiens, et autres saltimbanques étaient présents. La version 2005 arrivait dans les sonorités joyeuses et décoiffantes de la fanfare des Beaux-Arts, suivies de musique non-stop, et saluée par les officiels dont l’animateur Nagui et Daniel Vaillant, maire du 18e, – un enfant du pays – qui s’étaient, pour l’occasion, un instant éclipsés de la Fête des Vendanges toute proche…

De plus, cette Foire aux Croûtes se distinguait par une nouveauté non négligeable: les écoles de Montmartre, qui exposaient, pendant ce temps, dans le square. Les artistes en herbe amenant leurs parents, on n’avait jamais vu, de mémoire de Montmartrois, le parc accueillir autant de monde. Musique , clowns, jongleurs, performances d’artistes, animation, tout était là. La version 2005, se révélait, dans ses couleurs contemporaine, une digne héritière de ses aînées… Et les peintres travaillèrent! Même ceux qui ne firent pas de grosses affaires dirent, à la fin: « C’était une très belle fête! Il faut la refaire! « 

 

Riche année que 2005, pour cette partie de la Butte, puisque la même année étaient lancées, les premières « Puces de la rue Caulaincourt » par Montmartre à la Une… Et depuis, ça continue…

          Quand on demande aux Maquis’Arts : » Qu’est-ce qu’il y aura pour la Foire aux Croûtes 2009? Ils répondent: «  De la peinture, de la musique, des animations, de la couleur, de la bonne humeur… On ne change pas une formule qui gagne… Et de la découverte aussi… Car chaque Foire aux Croûtes se renouvelle à travers un public, des artistes, des amis nouveaux qui nous rejoignent et nous soutiennent… Quand on pense qu’au départ nous n’étions que trois!… »Et Jean-Paul Nguyen, président de l’association Maquis’Art Montmartre de préciser:  » … Mais nous restons fidèles à la démarche des premières Foires aux Croûtes: réaliser avant tout une belle fête de quartier en compagnie de nos amis artistes et riverains… »

Éric Chartier

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Publié dans : Non classé | le 5 septembre, 2006 |3 Commentaires »

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